Être femme en architecture de paysage : tendre vers l’équilibre

Publié le 7 mars 2025

Journée internationale des droits des femmes

Les femmes sont plus nombreuses aujourd’hui à choisir l’architecture de paysage comme métier. Quatre d’entre elles partagent généreusement leur point de vue sur le milieu.

Autour de la table de conférence, quatre femmes ambitieuses et déterminées sont réunies : Gianna, Janie, Audrey et Iona. Elles possèdent toutes une expérience différente, mais ont en commun leur profession et le lieu où elles l’exercent, Projet Paysage. À l’ordre du jour, il n’est pas question de la conception d’un projet, comme elles en ont l’habitude. Cette rencontre porte une saveur spéciale. À l’approche de la journée internationale des droits des femmes, elles se retrouvent plutôt pour prendre un pas de recul sur leur quotidien. Qu’est-ce que cela signifie, pour elles, être femmes en architecture de paysage aujourd’hui ? Une question aussi vaste qu’importante, comprend-on, en s’intéressant à leur perspective et à leurs histoires.

Les femmes et l’architecture de paysage : coup d’oeil sur les chiffres

Le milieu n’est plus ce qu’il était, comme peut en témoigner Gianna, qui a rejoint la firme en 2001. Elle estime qu’à l’époque, dans neuf cas sur dix, elle était la seule femme dans une rencontre pour discuter d’un projet.

Une étude menée par l’AAPC rapporte qu’en 2011, on comptait dans le secteur de l’architecture de paysage 665 femmes et 1075 hommes, soit 38% de femmes. En 2021, elles représentaient 53% des personnes dans le domaine. Le nombre d’hommes, lui, est demeuré relativement stable pendant ce temps. Pour la première fois, les femmes sont devenues au moins aussi nombreuses que leurs collègues masculins.

Statistiques
Vivre sa parentalité au travail : la force du nombre

Pour Gianna, aujourd’hui directrice de conception chez Projet Paysage, elle s’est toujours sentie appréciée à sa juste valeur et écoutée pour ses idées. « I was one of the guys », indique-t-elle, résumant le sentiment qui l’a habitée tout au long de la première décennie de sa carrière, jusqu’en 2011. « C’est lorsque je suis devenue mère que j’ai ressenti une différence en tant que femme. »

Il faut dire que la pression de performance était forte dans le milieu. Les horaires de travail exigeants étaient monnaie courante et l’équilibre avec la vie personnelle, plus difficile à honorer. L’impression d’être seule dans son bateau s’est fait sentir pour la première fois, Gianna étant à ce moment l’unique personne de la firme ayant une jeune enfant.

Heureusement, les temps changent et le bateau s’est rempli de plusieurs matelots qui partagent les mêmes contraintes et désirs liés à la parentalité. Dans l’équipe entière, environ la moitié des gens sont parents, incluant Serge et Maxime, les deux coassociés. Lorsque quelqu’un doit travailler de la maison ou venir au bureau avec son enfant pour concilier vie professionnelle et familiale, la compréhension et l’empathie règnent.

Le télétravail offre d’ailleurs une flexibilité rafraîchissante depuis que le contexte de la pandémie a démocratisé son usage, une belle avancée pour aider les parents à trouver l’équilibre à travers les imprévus de leur réalité.

Illustration femme au bureau

Illustration par Iona Sobral

Illustration femme à la table à dessin

©Iona Sobral

Carrière et maternité : la valeur du temps qui passe

Audrey n’a donc pas eu à traverser la même difficulté d’adaptation que Gianna lorsqu’elle est devenue mère en 2022. Malgré un choix éclairé, la décision de la maternité s’est tout de même accompagnée d’une insécurité face à l’évolution de sa carrière. « J’ai trouvé ça injuste de perdre un an de travail. En plus, j’avais seulement un an d’expérience. […] J’ai aussi perdu un an pour pouvoir devenir membre de l’Association des architectes paysagistes du Québec parce qu’il faut accumuler un nombre d’heures. » 

Cette préoccupation semble commune pour toutes celles qui passent par là. Janie, qui a récemment fait son entrée dans le milieu à l’âge de 28 ans, s’interroge de la même manière. « Mon bac, je l’ai fini tard. C’est une crainte pour moi, ça. J’envisage tranquillement de fonder une famille, mais je débute tout juste dans le domaine…»

Plusieurs femmes se reconnaîtront dans cette tension, tous milieux professionnels confondus. Devenir parent comporte encore aujourd’hui des implications bien distinctes pour les hommes et les femmes.

La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de changer les choses en s’en donnant les moyens comme société. Pour preuve, l’entrée en vigueur du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) en 2006 a grandement contribué à l’amélioration de la conciliation travail-famille. De plus, le programme favorise l’implication des partenaires : « En 2019, le taux de participation des pères aux prestations de paternité est de 72 % comparativement à 56 % en 2006.»

Il s’agit là d’un premier pas vers un modèle plus équitable qui profite à tous et toutes, tant aux femmes, qu’aux partenaires et aux enfants.

Illustration femme à l'ordinateur

Illustration par Iona Sobral

Illustration femme au chantier

©Iona Sobral

Et si on allait plus loin dans ce portrait de famille ? La Suède se présente comme un modèle en la matière. En 1974, il s’agissait du premier pays à proposer un congé parental aux deux parents et non uniquement à la mère. Il offre aujourd’hui une allocation parentale allant jusqu’à 480 jours (près de 16 mois) à se partager entre les deux parents. Leur retour s’effectue en douceur grâce à la possibilité d’adopter un horaire réduit jusqu’aux huit ans de l’enfant. Depuis l’été 2024, les congés parentaux peuvent être partagés en partie avec les grands-parents pendant les trois premiers mois de vie du poupon, une loi révolutionnaire.
 

« Il faut tout un village pour élever un enfant », dit l’adage. Il en faut un, aussi, pour supporter les femmes, qui ne doivent pas être seules à porter le fardeau d’un tel changement dans une vie personnelle et professionnelle, non ? 


La différence entre le vécu de Gianna et d’Audrey ne s’explique pas uniquement à l’évolution de la culture d’entreprise. L’amélioration prend racine dans les changements de mentalités qui traversent non seulement l’architecture de paysage, mais le milieu du travail et la société plus globalement.

Se soutenir et s’inspirer

La profession peut désormais se réjouir de compter autant de femmes dans ses rangs. Gianna, Audrey, Janie et Iona s’entendent pour dire que le bureau représente maintenant une sorte de safe space. Leur genre n’interfère jamais avec le sérieux et la validité qu’on leur reconnaît. Ensemble et avec leurs consoeurs du métier, elles sont plus fortes pour faire face aux situations inconfortables qui peuvent parfois survenir à l’extérieur du bureau. 

Le sentiment d’avoir à « se prouver » trace un fil conducteur entre les trajectoires de plusieurs. L’expérience, la confiance et le mentorat représentent de puissants antidotes pour s’en départir. Audrey observe notamment une sororité rassurante dans le milieu de l’architecture de paysage et la ressent encore plus dans les milieux plus masculins comme les chantiers. Rencontrer de plus en plus de femmes dans ces contextes et en posture de décision (chargées de projet municipal, entrepreneures en construction, etc.) fera certainement partie de la solution, en plus de la sensibilisation. Une meilleure représentation amène une perspective rafraîchissante et enrichissante.

Celles, aussi, qui ont mis sur pied leur propre entreprise sèment des graines pour la suite. Elles deviennent des modèles. Iona pense entre autres à Castor et Pollux, une boîte cofondée par trois femmes. Leur démarche, leur leadership et leur sens de l’entrepreneuriat font rêver la jeune femme. « Je pourrais être ça, dans 10 ans. »

Être femme en architecture de paysage prend un sens nouveau au fur et à mesure que des personnes comme Gianna, Audrey, Janie et Iona y trouvent leur place. 
 

Leurs victoires sont celles de tous et de toutes. « On s’améliore en travaillant en groupe ! », dit Iona. Toutes les femmes qui se sont livrées ici en sont intimement convaincues. 


Certaines ont particulièrement inspiré ces quatre collègues dans leur parcours respectif. Découvrez lesquelles.

Elsie Reford posant dans le jardin des pavots bleus

Elsie Reford posant dans le jardin des pavots bleus (vers 1941)
©Robert W. Reford

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